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Un vingt-cinquième anniversaire indûment oublié : SN 1987 A

par Sophie Trincaz - 9 mai 2012

Par Jean-Michel Levy
Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies
Université Pierre et Marie Curie - Paris

Au moment où l’on reparle des neutrinos ’supraluminiques’ parce que l’expérience Opera, qui a cru les mettre en évidence et l’a annoncé de façon tonitruante en septembre dernier, prend conscience de certains défauts d’appareillage qui pourraient expliquer son surprenant résultat, il est certainement opportun de rappeler que la première -et jusqu’ici la seule- mesure de la vitesse des neutrinos digne de ce nom a été faite il y a vingt-cinq ans à l’occasion de l’observation de la supernova SN 1987A.

Cent soixante-huit mille ans (à peu près !) avant le 23 février 1987, une étoile identifiée plus tard comme la supergéante bleue Sanduleak -690 202 explosa à cent soixante-huit mille années-lumière de la Terre dans le Grand Nuage de Magellan, petite galaxie satellite de la Voie Lactée. Pour les Terriens, ce fut la première supernova proche depuis l’invention du télescope -en fait depuis l’époque de Kepler- et aussi la première et jusqu’ici la seule fois où les neutrinos en provenance d’une supernova se signalèrent à eux.

Quelques rappels, en simplifiant à l’extrême pour ne retenir que ce qui nous importe ici : une supernova « de type II » comme l’était celle-là correspond à l’effondrement d’une étoile massive arrivée « à bout de carburant ». On sait que les étoiles tirent leur énergie du mécanisme de fusion nucléaire par lequel deux noyaux légers s’unissent pour produire un noyau plus lourd, tout en libérant de l’énergie sous forme de photons et de neutrinos. Ces réactions ont lieu au cœur de l’étoile, là où la température -et donc l’énergie cinétique- des noyaux légers leur permet de s’approcher suffisamment pour fusionner malgré la répulsion électrostatique qu’ils éprouvent du fait de leurs charges électriques de mêmes signes. Les noyaux les moins chargés –ceux de l’hydrogène qui ne comportent qu’un proton- sont les premiers à pouvoir fusionner. Viennent ensuite, mais à une température déjà beaucoup plus élevée, les noyaux d’hélium, puis ceux des éléments plus lourds. La pression exercée par les photons issus des réactions de fusion sur les matériaux des couches externes de l’étoile empêche celle-ci de s’effondrer sous l’effet de son propre poids et elle peut donc connaitre une situation d’équilibre plus ou moins longue, pendant laquelle elle transforme les éléments légers qui composent son cœur -d’abord et essentiellement l’hydrogène- en éléments plus lourds. Le soleil est à peu près au milieu de cette période stable, qui dure une dizaine de milliards d’années dans le cas d’une étoile de sa taille mais qui peut être beaucoup plus courte pour des étoiles plus massives connaissant des taux de réaction plus élevés.

Lorsque l’hydrogène vient à se raréfier au centre de l’étoile, la diminution de la pression des photons provoque un tassement des couches entourant le cœur qui entraine une augmentation de la pression et de la température de celui-ci. Cette température plus élevée permet alors aux noyaux d’hélium de fusionner. Quand à son tour l’hélium fait défaut, le processus se répète et d’autres éléments plus lourds peuvent fusionner. Vient cependant un moment - essentiellement, quand le processus produit des noyaux de la famille du fer - où les réactions de fusion commencent à consommer de l’énergie au lieu d’en produire. Dès lors, l’équilibre des forces entre poids des couches externes et pression exercée sur elles par les photons ne peut plus ^être maintenu. Le tassement des couches externes devient la source d’énergie qui permet aux réactions de fusion d’avoir lieu et donc de produire des photons. Mais la pression exercée par ceux-ci sur les couches externes ne peut plus empêcher l’effondrement de se poursuivre, puisque si elle le pouvait, les réactions de fusion s’arrêteraient faute d’énergie pour les entretenir et il n’y aurait plus production de photons. L’étoile s’effondre donc sur elle-même. La chute des couches externes sur le cœur déclenche une série de réactions qui conduisent à l’émission d’un nombre colossal de neutrinos et aussi de très nombreux photons, ainsi qu’à la formation des éléments du tableau de Mendeleev plus lourds que le fer. Les neutrinos et les photons sont d’abord confinés dans le milieu où ils sont formés par l’énorme densité de la matière qui les entoure, puis, après que l’onde de choc due à l’effondrement a commencé à repousser les couches externes, faisant chuter la densité et donc l’opacité du milieu, ils parviennent progressivement à s’échapper. Les neutrinos, pour lesquels la matière est beaucoup moins opaque, sont les premiers à sortir du piège et devancent la lumière de plusieurs heures. L’insignifiance de leur masse par rapport à leur énergie fait qu’ils voyagent pratiquement à la vitesse de la lumière, si bien que le décalage en temps entre eux et les photons sera maintenu sur des distances bien supérieures à celle qui nous sépare de Sanduleak.

La description très simplifiée qui précède repose sur des connaissances de physique bien établies qui permettent de comprendre l’essentiel des caractéristiques observées des supernovae de ce type. Cependant, les neutrinos interagissent infiniment moins que les photons avec la matière si bien que, même si le nombre de neutrinos arrivant sur Terre à la suite de l’explosion d’une étoile lointaine dépasse de beaucoup le nombre des photons, il n’est généralement pas possible de les détecter alors même que le phénomène lumineux s’observe au télescope. Et puisque le nombre de neutrinos ou de photons reçus diminue comme l’inverse du carré de la distance, il faut en pratique que l’étoile explose dans notre Voie Lactée ou dans une galaxie satellite pour que ses neutrinos puissent être détectés avec les moyens dont nous disposons. Statistiquement, on observe une supernova par galaxie et par siècle et les deux dernières connues dans la Voie Lactée remontent à Kepler et avant lui, à Tycho-Brahé. Sanduleak a donc été la seule étoile à exploser suffisamment près de nous pour que quelques-uns de ses neutrinos puissent être détectés par nos appareils. Et en effet, trois heures avant les premières photographies révélant la nouvelle supernova, des détecteurs situés sous les montagnes de la préfecture de Gifu au Japon, dans une mine de l’Ohio aux Etats-Unis et dans le nord du Caucase dans ce qui était encore l’Union Soviétique enregistrèrent respectivement douze, huit et cinq neutrinos sur des échelles de temps de l’ordre de quelques secondes. Sans tenir compte d’aucun modèle astrophysique, mais en admettant seulement que les neutrinos partent au plus tard en même temps que les photons, une différence de trois heures sur cent soixante-huit mille ans implique que leur vitesse est égale à celle de la lumière à deux milliardièmes prés.

Une expérience terrestre comme Opera est très loin de pouvoir prétendre à la même précision. Si on prend au pied de la lettre l’histogramme des temps d’arrivée publié en novembre dernier, l’expérience mesure le temps de vol entre le Cern et le Gran Sasso à vingt-cinq nanosecondes près. Ce temps étant de 2,4 millisecondes à la vitesse de la lumière, il n’est pas possible de détecter une différence inférieure à un cent-millième entre la vitesse des neutrinos et celle-ci. La supernova fait donc dix mille fois mieux et bien évidemment, contredit complétement le résultat d’Opera.
Quand celui-ci fut annoncé en septembre, tous ceux qui se souvenaient de SN 1987 A ont immédiatement fait le même calcul : si Opera avait raison, les neutrinos de la supernova auraient dû arriver sur Terre quatre ans –et non trois heures- avant la lumière. Outre toutes les raisons qu’ils ont de penser que la relativité, mise en cause par Opera, est l’un des plus solides fondements de leur discipline, ce hiatus criant a été l’une des raisons pour lesquelles bien de physiciens, malgré tout leur respect pour les résultats expérimentaux, ont d’emblée affiché un profond scepticisme devant l’annonce faite à Genève.

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